Tui shou/poussée des mains

Tui Shou – poussée des mains
Quelques réflexions

La martialité a de multiples facettes et la manière de la recevoir est aussi vaste…

Entre les personnes qui ne veulent pas en entendre parler par peur du contact tout simplement ou par peur de la violence qu’elle pourrait engendrer, et celles qui veulent à tout prix une «efficacité sur l’autre» digne d’effets spéciaux cinématographiques, pour ne pas parler des «casseurs», la palette des demandes est vaste… Les pratiques dans les écoles varient autant, allant du kung fu légèrement adapté à l’»énergétique» pure (?) selon les cas

Aussi il est préférable de définir ce que nous entendons faire avec notre martialité, avec la représentation que nous en avons, d’autant que celle que nous véhiculons est loin d’être celle de l’idéologie dominante de lutte, de conflit, de violence, mais tout simplement de rencontre avec l’autre…

une réalité quotidienne

En permanence, le monde nous offre des limites au travers desquelles nous avons à frayer notre chemin. La moindre petite graine qui veut sortir de terre doit se faire sa place au milieu des mottes, se dégager du sol, trouver de la lumière, s’adapter au vent et aux divers évenements qui lui arrivent, ne serait-ce que le danger des passants… Mais cette motte de terre qu’elle doit dissocier, écarter pour grandir, lui est aussi indispensable: c’est son appui pour se tenir, droite, sa source de nourriture…

Ces limites, nous avons à apprendre à les traverser le plus  facilement possible, avec le moins de nuisance pour nous comme pour les autres, car si nous nuisons au jardinier qui passe, il n’aura de cesse que d’avoir arraché la mauvaise herbe à ses yeux.
De ce point de vue, notre histoire ne nous a pas toujours facilité la tâche… Certains ont pris des coups de toutes sorte et n’ont de cesse que de les rendre, d’autres ont du s’effacer et restent dans la crainte. Pour chacun, recevoir ce qui vient du dehors suscite une attitude particulière et rares sont ceux pour qui elle est simplement ouverture, accueil et transformation!

Aussi, la martialité est pour nous le moyen d’apprendre à transformer cette rencontre inévitable avec les limites (l’autre en particulier) et à rendre utile à notre croissance ce que nous recevions parfois de manière mal vécue, dérangeante, opposée pour le moins. Transformer ce champ de luttes et de conflits possibles, sans les nier, en autant d’occasions d’appuis pour notre croissance. Vaste programme!

un outil pédagogique

La première réalité concrète est que le tai chi est fait de mouvements supposés réaliser des actions martiales: ce sont elles qui donnent sens au mouvement. C’est aussi cette intention qui en définit les contours… Ce n’est certainement pas un hasard si le contexte de l’action est l’autre… Comment comprendre et intégrer les dynamiques du mouvement en en faisant l’impasse? Comment unifier l’action en l’occultant? Se priver de cet aspect du sens au nom de nos peurs ou de notre pseudo pacifisme en le remplaçant une par simple imitation, ou en multipliant les consignes et les contrôles sans globalité mènerait a un moment ou à un autre à de grandes impasses, de grandes rigidités! La définition du mouvement devient in-sensée au sens propre du terme…

En revanche, cette intention est un outil, non une fin (voir interne/externe) car si je mets toute mon intention dans l’action extérieure, je perds mon objectif qui est mon apprentissage intérieur, mon «me faire du bien». Ce qui se passe à l’intérieur devient soumis à l’action et j’en paye souvent le prix en tensions, raideurs, blocages respiratoires et autres conséquences. De plus l’image de l’autre comme agresseur, sa destruction même virtuelle (ou blessure ou échec) de l’autre me renvoie inévitablement, un jour ou l’autre, à ma propre destruction (ou blessure ou échec), ce n’est donc pas un objectif tenable dans le temps, ni intelligible au moindre brin de conscience. La recherche de ce type de puissance sur l’autre n’étant en tout état de cause qu’une tentative sans effet de pallier mes propres insuffisances et ne m’amenant finalement qu’à tenter de les nier ou à m’y perdre…

Aussi c’est à la fois par l’évaluation de ce qui se produit au dehors confrontée à celle qui se perçoit au dedans et de leur qualité mutuelle qui permet de développer la cohérence de l’apprentissage. Et dans ce paradoxe, c’est la qualité de ce qui est produit en termes de légèreté de l’échange autant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit qui sera notre critère de cheminement.

une efficacité spécifique

Dans ce champ de pensée, que devient l’efficacité? Car il n’est pas question non plus de fumer la moquette et de se noyer dans une bulle énergétique virtuelle espérant qu’elle n’éclate jamais. Le réel rattrape toujours et si nous avons besoins de détours pour apprendre autant en limiter le coût.

Quelle est elle alors, cette efficacité et à quoi s’applique-t-elle? Avant la rencontre, l’autre est donc imaginé comme survenant inopportunément… Quel est l’objectif de celui qui reçoit? Réduire cette intrusion en l’effaçant, mais comment? Vaincre ce vécu réel ou simulé d’agression ou utiliser ce changement pour s’y nourrir et croitre?

Je puis effectivement avoir pour objectif de vaincre cet autre, je gagne, il perd et basta. Basta? pas si sur. L’autre n’a-t-il aucune aigreur, ne prend-je pas le retour de bâton un jour ou l’autre? Je l’aurai disait quelqu’un, je l’aurai… Et si je fuis, jusqu’ou?

«Tu fonde ton ennemi en le combattant»
St Exupéry


Mais je puis aussi tenter de faire que pendant l’action, sans changer ce qui est mes axes intérieurs, je transforme ce qui arrive, crée un nouvel espace d’échange où l’agression n’a plus lieu d’être ou perd son sens dans le vide de l’espace proposé et ou l’échange des souffles dans cet espace est tel que chacun y gagne, rendant l’opposition sans objet. Fantasme des textes anciens pensez vous peut-être? Qui sait? et si c’était vrai?
Peut être n’est-ce pas tout le temps réalisable, pas tout de suite, mais quand cela l’est, quel plaisir! Et c’est en tous cas un objectif on ne peut plus intéressant à affiner. Car je suis aussi souvent l’agresseur, volontaire ou non, par ma présence comme par mon absence, des autres, en apprenant cet accueil, c’est encore à moi que je fais du bien.

 un miroir à double face

La perception nouvelle de soi et de l’autre est particulièrement mise en œuvre dans les tui shou, mais aussi, plus subtilement dans la forme… L’autre n’est plus ce qui fait pression ou ce sur quoi je fais pression, mais appui qui me situe et me réverbère (m’éclaire par la même occasion). Cette réalité subtile est un choix permanent issu d’une représentation du monde différente qui s’éveille

«A vrai dire, tout être est autre et tout être est soi-même. Cette vérité ne se voit pas à partir de l’autre mais se comprend à partir de soi-même. Ainsi il est dit «l’autre sort de soi-même, mais soi-même dépend de l’autre»
Tchouang tseu

 Il est vrai que l’éducation de cette perception (qui bien sur est un attitude mentale apparemment mais qui s’incarne dans des actions et perceptions physique extrêmement concrètes, perceptibles sans ambiguité par l’autre) prend un temps certain.. mais peut être est-ce cela aussi le temps du Tai Chi le temps de la pédagogie de l’échange dans le mouvement.

«Que l’autre et soi-même cessent de s’opposer, c’est là le pivot du tao. Ce pivot se trouve au centre du cercle et s’applique à toute chose»
Tchouang tseu


C’est pourquoi, dans la culture de ces paradoxes, il était dit (Yang chen fu) qu’il convient de faire toujours la forme comme si l’on était deux (car l’autre est l’appui et le sens du changement) et tui shou comme si l’on était seul (puisque le centre est au centre des deux – voie du milieu…)

Loin donc du combat, l’expérience de la croissance, comme celle de la petite graine du début de cet article est celle de la rencontre et de l’adaptation. Si notre culture est fondée sur le désir, ses pulsions et inhibitions, sa volonté de réalisation au besoin contre l’autre, cette vision de la complémentarité dynamique liée au changement vient d’un autre monde. C’est une culture (considérait, car le moins que l’on puisse dire c’est que si les chinois mettent encore en avant leur ancienne culture, la réalité d’aujourd’hui n’en est plus guère qu’une mauvaise copie délavée) ou l’on considère que ce qui est est, etau devant de quoi l’adaptation qualitative est l’objectif. Ceci est d’autant plus sensé que de fait, c’est ce qui va se passer, de toutes façons, le prix à payer pour les non adaptations étant toujours très lourd. La martialité est cet apprentissage pour nous: le prix du combat sera d’autant plus lourd qu’il sera loin du mouvement naturel, de l’adaptation à ce qui advient: apprenons à percevoir et à trouver la légèreté du contact et la fluidité de l’eau…