Maître/Maitrise

Maitre, maitrise, méprise…

En cette rentrée scolaire qui, l’habitude aidant, rythme bien d’autres apprentissages, beaucoup parmi vous vont découvrir ou reprendre ensemble notre joyeuse activité dans les cours de pédagogie du mouvement, de tai chi chuan et de toutes sortes d’autres pratiques de cet ordre… Et donc, avoir affaire à un enseignant, une école, une démarche, plus ou moins en accord avec leur propres recherches, demandes, images…

De son côté, chaque enseignant a son style, sa manière d’être, son vocabulaire, construits par son histoire personnelle et de sa vision du monde,  mais aussi imprégnés de la manière dont il a reçu son apprentissage, des codes et coutumes de l’école qu’il s’est choisi et dont il a choisi (ou non) de transmettre les savoirs…

 Quelle relation s’installera entre ces deux élans  au delà (ou en deçà) de la relation personnelle ou technique? Dans quel cadre d’enseignement cela s’inscrit-il?  En quoi le cadre est il aussi modèle des apprentissages parallèles que nous recevons?

S’il y a maitre et élève, ne vais-je pas apprendre par écho silencieux à être pareil avec moi même et tenter d’être maitre de moi? Et ou est le développement autonome la dedans, de ma pensée propre, de mon penser sensitif et corporel propre? autant de zones souvent floues

Dans l’esprit de la pédagogie du mouvement, cette part  «subliminale» de l’apprentissage nous semble tout aussi importante que la croute de connaissance… Voire, paradoxalement maitresse de l’apprentissage dans bien des conséquences…

Ainsi particulièrement dans ces arts venus de l’autre côté de la planète, ou les mots ne sont pas forcément chargés du même sens, ils deviennent facilement absorbeurs de rêves.

Il y a souvent co-incidence entre le désir de cohérence et de bien être des apprenants, glissant vers celui de maitrise (de soi, des relations, de la santé, etc…), et celui de partager et faire du bien de l’enseignant devenant par un même dérapage sur sol glissant pouvoir sur ou transmetteur d’images de pouvoir sur…

 L’illusion la plus répandue semble être le commerce suivant (sonnant mal à l’oreille et trébuchant dans son projet) : je te donne du maître, tu me donnes de la maîtrise… Chacun est payé en mots mais est-ce suffisant? et si c’était vrai ? (de quoi en faire un roman…).

Mais ce n’est pas la seule: illusion de la maitrise, du contrôle, du pouvoir, de la force,  rêves de djedai ou de darks vador, maitrise et soumission sont si proches qu’on y verrait presque une religion…

  Il m’a semblé intéressant de m’interroger un instant sur ces mots qui traversent parfois bien involontairement les cours et les images qu’ils portent. Y a-t-il des maîtres? et si oui (dieu merci diraient certains) de quoi? ou plutôt, à la réflexion de qui?  (ou pour qui?) et pour quoi? (ou pourquoi?)

  La question ne se poserait pas si nous avions des données simples.

Par exemple un savoir neutre, si cela existe (les tables de multiplication), un maître d’école qui est capable de les faire apprendre et réciter et de s’en aller en abandonnant son élèves au délices de leur usage. Hélas dans un domaine comme le notre il en va différemment! tout concourt à la confusion! Les grues batifolent, mais le tigre guette.
    
Le savoir ne nous est pas extérieur, même quand il nous est présenté comme une technique. Il s’agit de jouer avec nous mêmes (si nous sommes élèves), nos os, notre souffle, nos émotions d’enseigné, nos représentations du mouvement et du monde, ou avec l’autre (si nous sommes enseignants), ses os, son souffle etc…

Le savoir technique lui même n’est pas immédiatement neutre: il est imprégné d’une culture sinisante, japonisante, indianisante ou autre, autant de cultures (dont seul un passé mythique témoignerait d’autre chose) n’ayant pas plus que la notre à être fières de la relation de développement des personnes qu’elles nous montrent. Le taoïsme n’a pas rendu les chinois plus sages que les évangiles n’ont rendu les occidentaux généreux…

 

 La demande des élèves est bien évidemment multiple (santé… sagesse… puissance -énergétique- bien sûr- …, loin d’être légère et souvent infinie, idéale, et si possible sans cout autre que celui de la cotisation libératrice qui donnera en retour harmonie intérieure et bouclier magique contre la méchanceté stressante du monde.

Je ne mets pas en cause la légitimité initiale de ces demandes, ne serait-ce que parce que je les ai eues, mais j’invite à observer tout ce qu’elles peuvent induire qui aurait l’effet inverse de ce qui est souhaité

A tant demander, l’élève remet souvent sa capacité de jugement au «maître» de la situation et du savoir, l’enseignant (cadeau empoisonné pour les deux au demeurant).  Bien sur une certaine confiance, hors de laquelle il n’y aurait pas d’échange est nécessaire, mais elle ne doit pas, pour être utile, faire oublier que la personne n’est pas là pour rajouter une couche de connaissance, fut elle passionnante, aux couches existantes  (ce qui a souvent comme  corollaire des les rejeter, les nier…), mais pour intégrer de nouvelles aptitudes complémentaires et à marier avec ce qui est déjà là:

 Il y a autant de travail à s’adapter au nouveau que le nouveau à de travail à s’adapter à l’ancien: c’est long, mais cela nécessite que la personne fasse confiance à ce quelle est au moins autant qu’à celui ou celle qui lui apprend et réciproquement…

La liberté totale de doute et de mise en doute est une nécessité circulatoire de fond..

Les postures d’enseignement sont aussi multiples (je ne parle pas de la posture officielle, mais de l’attitude intérieure):

Je sais (je crois savoir) et je transmets
OK, mais je transmets quoi?

Le modèle que j’ai appris?
en tout cas son interprétation?

Mon expérience?,
celle qui n’est solution éventuelle que pour moi (la lanterne de l’expérience n’éclaire que celui qui la porte)

Ma maitrise?
Mais de quoi suis-je maitre?
peut être parfois plus souple, plus rusé, plus technique, plus habile, plus ancien….
plus quelque chose qu’avant, que l’Autre,, mais maitre de quoi?

De mes nerfs?
la vie vient toujours en montrer la vanité, een découvrir les masques…

De ma la santé?,
le temps est là pour nous rappeler notre impuissance…

De ma technique?
il y a toujours un autre qui en connait une autre, (mieux dit-il?), plus performante pour le mêmes critères,
ou la même, mais plus ancien, ou plus fidèle à l’école, ou plus proche de celui qui de dit maître?…
    
De «mes» élèves? (absurde dénomination d’une appartenance inexistante)
La simple observation du cours suffit à calmer cette ardeur: les élèves font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils sont et non ce que je crois leur montrer…
    
Car maitriser et encore de l’ordre du désir d’agir sur, l’autre, le monde, et de contrôler:
Maitriser est a l’inverse de la liberté et de l’aisance dans l’adaptation au réel que nous recherchons…

 

Tout l’apprentissage tant du point de vue de l’élève que de celui de l’enseignant va avoir à se glisser dans l’espace étroit laissé:

– entre les tensions générées pas les contrôles initiaux (nécessaires à l’expérimentation de chemins nouveaux) et les changements (abandons d’autres apprentissages/contrôles), (incarné éventuellement par le professeur, les codes de forme…)

– entre la volonté de contrôle du changement tel que l’on imagine qu’il est nécessaire pour obtenir ce que nous nous représentons comme demandé et la liberté de la créativité interne nécessaire a la recherches de nos chemins personnels (tensions entre résistance au changement et autonomie),

– entre le contrôle des critères de validité de ce vers quoi nous allons pour ne pas être abusés par l’autre (cohérence avec nos références, comme par exemple notre système anatomique et  physiologique tel que nous le connaissons) ou par nous mêmes (mise en commun et validation relative des approches), et l’abandon de solutions limitées (ouvertures apportées par la vision énergétique et ses limites) ou obsolètes (représentations erronées) que nous avions crues efficaces…

 
L’apprentissage devient alors un équilibre permanent, une alternance de changements entre ces différents pôles sans que jamais aucun ne devienne majeur au risque de déséquilibrer le tout…

L’apprentissage est une eutonie de toutes ces tensions, un homéostasie du changement…

 

La crise actuelle est un exemple possible d’observation extérieure, une métaphore  superbe de tous ces jeux… 
Maitres ne maitrisant rien, (pardon, dans ce monde, on dit experts)  dépassés par le réel;    
Élèves (pardon banquiers, boursiers et traders..) censés suivre leurs expertises lumineuses et historiquement et prixnobelement prouvées dont les délires énergétiques (dématérialisation de l’argent dans une économie séparée du réel) conduisent au pire (autonomie sans référentiel)…

Répétition (niée) des bêtises de l’histoire laissant croire que plus de  contrôle (maitrise) amènera a plus d’équilibre… sans mise en question des représentations pour le moins limitées et certainement obsolètes… amenant a nommer crise ce qui est le moteur  pathologique du système.

Je laisse jouer avec la métaphore… Mais souvenons nous qu’une énergétique qui ne trouve pas son écho dans le réel osseux est tout aussi perverse

 Bref, dans nos milieux, quelqu’un qui se dit maitre ment ou se trompe,
puisque par définition il ne maitrise rien.   
Si en plus de se tromper il en entretient l’apparence,
il trompe ce qui n’est guère mieux…


Mais celui qui lui en donne les attributs et capacités n’est pas neutre non plus dans cet échange, car comme dans la fable du corbeau et du renard, tout flatteur vit aux dépends…
sans bien savoir toujours qui est le corbeau…


J’ai ainsi connu un enseignant dit «Maitre Chose» dont la maitrise a plus grandi proportionnellement à l’épaisseur de son portefeuille qu’au bien être et à l’autonomie des gens suivant ses apprentissages (ce qui ne dit rien de la virtuosité de ses techniques). 

  

Si les préjugés sont des maitres,
Alors, nous avons tous des maitres

Tchouang Tseu

 

Il y a un certain confort à remettre à l’autre sa capacité à penser : ça repose.

Mais il y a un lourd tribut à payer à cette attitude:

la privation de l’apprendre a penser pour soi.

Être critique n’est pas forcément être rebelle:

c’est le maitre qui souvent fabrique le rebelle.

C’est là sa plus grande méprise, car éblouir n’éclaire pas…

Apprendre, c’est se rapprocher de soi, pas du maitre, car il y a peu de lumière à son ombre…